Lemkerkba, une fraise de luxe
par Khider Ouahab
Seulement à force de se plaire dans sa «suprématie» gustative, Skikda risque aujourd'hui de se voir dépassée par ce qui se fait ailleurs et perdre même un label acquis depuis près d'un siècle. Aujourd'hui, elle n'a désormais plus qu'un choix : labelliser sa fraise pour préserver ce qui s'assimile à une biodiversité et rentabiliser économiquement ce produit. Mais on n'en est pas encore là. Pour y parvenir, une virée au fin fond des couleurs rougeâtres et des arômes s'impose. D'abord une évidence : «la fraise de Skikda» ne se trouve qu'à Skikda. Et sans être fin gourmet, il est facile de la reconnaître parmi les 600 variétés qui existent aujourd'hui.
Il suffit juste de sentir l'arôme qui s'y dégage, car la fraise locale se caractérise surtout pas un parfum très fort, par l'abondance de son jus et l'absence de toute acidité qu'elle neutralise par un taux de sucre très élevé. Ce sont d'ailleurs ces qualités qui font sa renommée et l'assimilent à un produit luxueux, même si sa taille assez moindre ne lui octroie pas à première vue tant de noblesse. Certains, par amour pour ce produit du terroir, l'ont dénommée Lemkerkba. Une appellation qui essaie de lier le destin du produit aux origines historiques de la ville. Ce n'est là bien sûr qu'une tentative de distinguer le produit autochtone des variétés introduites au cours des années 1970. Car à ce jour, il reste encore difficile d'identifier la variété originelle introduite en 1920 et qui vivra depuis plusieurs mutations génétiques pour aboutir au produit actuel.
Aux origines de Lemkerkba
Ce qui est sûr, c'est que la culture de la fraise à Skikda ne date pas d'aujourd'hui
Des vieux de Skikda, de Stora et de la Grande Plage racontent que les premières fraises ont fait leur apparition au début des années 1920. La mémoire collective rapporte que ce serait un colon italien installé sur les coteaux de Stora qui aurait tenté les premières plantations sur une superficie d'un demi-hectare au lieudit Bled Etlayène (pays des Italiens), situé à proximité du Pont noir, un passage qui existe à nos jours et qui relie Stora à la Grande Plage. La fraise plantée proviendrait apparemment du sud de l'Italie, ce qui amena le colon italien à la planter sur les versants maritimes de Stora pour qu'elle puisse bénéficier des mêmes conditions climatiques.
On raconte également que le colon employait dans ses champs quelques Algériens auxquels il imposait une fouille corporelle intégrale à chaque fin de journée. On dit qu'il cherchait à se réserver l'exclusivité de cette culture. Seulement, racontent les vieux de Stora, l'un de ses employés, attiré par l'extravagance du fruit, réussira à récupérer quelques plants qu'il dissimulera dans ses bottes et alla les planter non loin de la Grande Plage, à moins de dix kilomètres seulement des champs du colon. Une saison après, il obtint les premières récoltes et commencera alors à multiplier ses plants et à les léguer à d'autres habitants de la Grande Plage et, ainsi, la culture de la fraise s'est imposée à travers les décennies dans cette région où elle demeure d'ailleurs l'éternelle reine des champs.
Skikda s'est toujours approprié une renommée accordée aux fragrances de ses fraises. Elle peut même se targuer de posséder le secret de la fraise la plus prisée. La plus succulente surtout : Lemkerkba ( la dodue)
